16 mars 2022

CHANTER OU NE PAS CHANTER

Hélène Couture, mezzo-soprano

Première année entachée par le coronavirus : réduction salariale de 10 %. Pas en ce qui me concerne, mais plutôt en ce qui concerne le gagne-pain de mon mari. Ce salaire qui fait que ma famille peut mettre un peu d’argent de côté, celui qui permet que la guitare et le piano puissent se faire entendre entre les murs étroits, mais chaleureux, de notre petit appartement en ville, à Zürich, en Suisse.

Les petites mains de mes enfants, maintenant pré-adolescents, je les tiens depuis qu’elles se referment sur les miennes. Je suis donc restée à la maison, et je n’ai que peu travaillé. Je me suis consacrée à leur éducation, je leur ai montré de quelle façon on sert la main aux gens, pourquoi il est bon de prendre soin de nos aînés; je leur ai aussi parlé de ce que l’on ressent lorsque l’on fait preuve de compassion envers les autres…

Je suis restée à la maison, moi, chanteuse d’opéra qui fut soliste sous la baguette de Bernard Labadie, Mark Minkowski, William Christie… Je suis restée à la maison, moi, mariée à un autre chanteur d’opéra travaillant de soir. Pouvait-on être deux à faire ce job? Non, pas vraiment, pas avec les enfants. Je suis donc restée à la maison. Mais je n’en ai pas été vexée : j’avais des contrats comme remplaçante dans les choeurs, des petits concerts, ici et là. Je croyais bien faire cela pendant longtemps, tout en me concentrant d’abord sur le job le plus important pour moi, celui d’élever mes enfants.

Deuxième année salie par le coronavirus : nouvelle réduction salariale de 18 % pour mon conjoint. Et vlan! Ça commence à faire mal. On entend moins souvent la guitare et le piano joués par les petites mains de mes enfants; on entend le mot « non » plus souvent que d’habitude, et il n’y a plus d’argent de côté.

Je ne peux plus demeurer à la maison pour m’occuper de mes enfants : je dois maintenant trouver un emploi. Un emploi de jour, un emploi loin du chant, un emploi qui n’a rien à voir avec l’art. Or, toute ma vie, je n’ai fait que cela, chanter. Mais que valent un beau timbre, des coloratures faciles et le si bémol ancré d’un mezzo quand on convoite un emploi de caissière dans un café? Et ça, c’est si l’on veut de toi à 43 ans!

Résignée, mais aussi déterminée à trouver un travail pour contribuer financièrement à la vie de ma famille, je me mets au boulot quotidiennement pour refaire, corriger et envoyer mon CV, et ce pendant six mois. Six mois au cours desquels je ne reçois que des réponses négatives ou, tout simplement, aucune réponse. « Qui voudra d’une femme de 43 ans? Est-ce que je me vois, travaillant chez Starbucks jusqu’à ma retraite? » Le genre de questions dont ma tête se remplit chaque minute, chaque heure après la lecture de chaque courriel refusant ma candidature. Et, chaque fois, je me dis : « Si, au moins, ils connaissaient ma valeur artistique! »

Je suis une femme en excellente forme physique. Je cours en montagne dans les sentiers, je pratique la culture du mouvement, le yoga, je voyage à vélo et je nage dans les lacs l’hiver, avec ou sans couvert de glace. Nager dans une eau qui n’est qu’à 4 °C remet toujours mes pendules à l’heure, peu importe le stress que je subis. Cela fait disparaître mes petits maux physiques et émotifs. Nager dans cette eau vivifiante me permet d’entrer dans une méditation active : je n’ai alors d’autre choix que celui d’être dans le moment présent. Il n’y a plus que moi et l’eau glacée. Rien de plus merveilleux ! Je me sens vivante, et j’y vois plus clair. C’est moi, le froid et mon sourire.

Alors, pendant ces six mois où je faisais mon deuil du chant, je pensais bien pouvoir me recueillir dans mon lac et y trouver un réconfort. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Là où je puisais ma source de consolation, où je retrouvais mes forces et mes réponses, je ne me sentais plus réconfortée. Je sortais de l’eau, encore plus en désarroi. J’étais fâchée, et je n’étais pas la seule à en souffrir. Je n’étais plus disponible pour guider mes enfants dans leur jeune vie; j’étais perdue!

De ce sentiment toutefois est né le besoin, le désir d’aborder le problème de l’emploi sous un autre angle. Et si, finalement, je travaillais le soir, moi aussi? Et si je chantais, moi aussi? Après en avoir discuté, mon conjoint et moi, nous en avons conclu que le seul moyen pour moi de pouvoir reprendre mon activité lyrique était d’avoir une « grand-maman » ou un « grand-papa » tout près pour veiller sur notre progéniture. Nous nous sommes tout de suite mis à chercher, et, rapidement,

nous avons trouvé LA perle rare : notre voisine, une dame retraitée habitant seule, pleine d’énergie et qui adorait déjà nos enfants. Lorsque nous l’avons approchée pour lui faire part de notre projet, elle nous a répondu sans hésiter : « J’aimerais bien être la grand-mère européenne de vos enfants. »

J’en ai eu les larmes aux yeux, au point où j’ai presque entendu les anges chanter un si bémol! Mon rêve allait peut-être devenir réalité, et j’étais si heureuse qu’une personne soit prête à nous aider de cette façon-là ! Notre chère « Oma » (qui veut dire grand-mère, en allemand) serait là le soir, à l’heure où sa présence bienveillante serait la plus rassurante auprès de nos enfants.

Au mois de septembre dernier, j’ai donc auditionné pour un poste à temps plein dans les choeurs de la maison de l’Opéra de Zürich. Je me suis présentée à l’audition avec un air extrait de l’opéra Mignon, un rôle que ma merveilleuse tante Marcelle Couture a chanté jadis à l’Opéra de Montréal, et un air de Rossini (avec un si bémol aigu à la fin, eh oui !). Non seulement tout s’est bien passé, mais j’ai même eu droit à des applaudissements!

Aujourd’hui, je suis fière de vous dire que j’ai obtenu le poste et que je chante désormais avec mon mari dans les choeurs : je gagne ma vie avec ma passion, et je participe enfin à la stabilité financière de ma famille. Je suis comblée!

En passant, mes baignades nordiques sont redevenues mes moments de recueillement. Et à chaque fois que je nage au froid, que je me connecte au moment présent, je remercie la vie pour le chemin qui s’est présenté à moi et que j’ai parcouru, pour celui sur lequel je me trouve maintenant, et pour celui qui se présente devant moi…

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